Comment évaluer le besoin en tierce personne d'un enfant en situation de lourd handicap ?
La question de l’évaluation du besoin en tierce personne d’un enfant polyhandicapé soulève beaucoup de discussions notamment lors de l’expertise durant laquelle le conseil du régleur a tendance à minimiser ce besoin en évoquant le « besoin classique » d’un enfant à bas âge, qui serait déjà dépendant de ses parents pour les gestes du quotidien.
Lorsque l’enfant est très gravement atteint et présente une dépendance quasi-totale, son besoin en tierce personne n’est toutefois plus du tout comparable à l’aide parentale normale.
Comme le soulève exactement un article publié à la Gazette du Palais sur la tierce personne de l’enfant :
« C’est le rôle des parents d’accompagner leur enfant jusqu’à ce qu’il devienne autonome. Les parents vont naturellement prendre en charge leur enfant et profiter des joies que procure l’accompagnement d’un enfant jusqu’à l’âge adulte. Il s’agit d’un rôle enviable puisqu’il pousse la plupart des personnes à fonder une famille.
La situation des parents d’un enfant lourdement handicapé est radicalement différente. (…)
Un enfant présentant un handicap lourd nécessite une assistance qui peut être permanente et ne relevant pas de la maternité et de la paternité. Dans cette hypothèse, il ne pourra être retranché à l’évaluation de la dépendance liée au handicap le temps durant lequel un parent mobilise son attention pour l’entretien d’un enfant ordinaire du même âge.
C’est d’ailleurs sous cette motivation, souvent implicite, que l’expert retient habituellement un besoin en tierce personne quotidien tout au long du nycthémère lorsque le handicap de l’enfant est gravissime (pour une incapacité supérieure à 90% au regard du barème médical). »
(VERNASSIERE S. « L’indemnisation des enfants – l’évaluation du besoin en tierce personne de l’enfant », GP 10 mars 2012)
Dans une très prochaine Gazette, notre consœur mettra à jour cet article important.
Il ne peut donc être procédé à la déduction de l’aide parentale classique dans l’évaluation du besoin de tierce personne.
Par un arrêt du 3 avril 2021, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt qui avait limité le besoin en tierce personne temporaire de l’enfant à 12 heures par jours pour exclure notamment les périodes nocturnes au motif que « l’état de l’enfant, atteint d’un déficit fonctionnel supérieur à 95%, nécessite en permanence une aide humaine pour la satisfaction de ses besoins vitaux »
(CE, 5ème et 6ème chambres réunies, 2 avril 2021, 427283).
Par un arrêt très récent, obtenu par notre cabinet, la Cour d’appel de PARIS explicite la méthode d’indemnisation du besoin en tierce personne d’un enfant né très gravement handicapé :
« La gravité du handicap du jeune homme n'est contestée d'aucune part. Or au regard de la sévérité du handicap de X et de son état d'entière dépendance, ses besoins, alors qu'il requiert une aide attentive constante pour l'ensemble des actes de la vie quotidienne et une disponibilité et une réactivité permanentes d'un tiers à ses côtés, ne peuvent être calculés au seul regard des besoins supplémentaires par comparaison à un enfant du même âge en construction et qui nécessite également une aide quotidienne.
La dépendance de l'intéressé doit en conséquence être intégralement prise en charge, sans déduction du temps consacré à un enfant « ordinaire », vingt-quatre heures par jour depuis sa naissance, sans distinction, non plus, des heures « passives » ou « actives » (étant ici précisé qu'à la date du dernier rapport d'expertise du 4 mai 2018 - soit postérieurement à la consolidation de son état de santé - le jeune homme n'avait qu'une communication très limitée et un vocabulaire de quelques mots, ne tenait pas debout ni assis et ne présentait aucune autonomie motrice, ne pouvait pas se retourner, ne voyait que très peu et se réveillait en criant deux ou trois fois par nuit, devant alors être repositionné dans son lit). »
(Cour d’appel de Paris, Pôle 4 Chambre 10, 2 mai 2024, n° 21/13072)
Il est donc établi que le besoin de tierce personne d’un enfant très gravement handicapé doit être indemnisé sans déduction du besoin d’un enfant du même âge en bonne santé, qui se trouve dans une situation non comparable.