La JP du Cabinet Bibal : CA Paris, pôle 4, chambre 10, 2 mai 2024, n°21/13072
Comment évaluer le besoin en tierce personne d’un enfant en situation de lourd handicap ?
Cette question soulève beaucoup de discussions notamment lors de l’expertise durant laquelle le conseil du régleur a tendance à minimiser ce besoin en évoquant le « besoin classique » d’un enfant à bas âge, qui serait déjà dépendant de ses parents pour les gestes du quotidien.
Pourtant, lorsque l’enfant est très gravement atteint et présente une dépendance quasi-totale, son besoin en tierce personne n’est plus du tout comparable à l’aide parentale normale.
🗝 Par un arrêt très récent, obtenu par notre cabinet, la Cour d’appel de PARIS explicite la méthode d’indemnisation du besoin en tierce personne d’un enfant né très gravement handicapé :
« Au regard de la sévérité du handicap de X et de son état d'entière dépendance, ses besoins, alors qu'il requiert une aide attentive constante pour l'ensemble des actes de la vie quotidienne et une disponibilité et une réactivité permanentes d'un tiers à ses côtés, ne peuvent être calculés au seul regard des besoins supplémentaires par comparaison à un enfant du même âge en construction et qui nécessite également une aide quotidienne.
La dépendance de l'intéressé doit en conséquence être intégralement prise en charge, sans déduction du temps consacré à un enfant « ordinaire », vingt-quatre heures par jour depuis sa naissance, sans distinction, non plus, des heures « passives » ou « actives ». »
Il est donc établi que le besoin de tierce personne d’un enfant gravement handicapé doit être indemnisé sans déduction du besoin d’un enfant du même âge en bonne santé, qui se trouve dans une situation non comparable.
🔁 Cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil d'Etat qui a retenu par un arrêt du 2 avril 2021, la nécessité d'une aide humaine en permanence pour un enfant gravement handicapé (CE, 5ème et 6ème chambres réunies, 2 avril 2021, 427283).
📚 Conseil de lecture pour approfondir l'argumentaire :
- Article de Sylvie VERNASSIERE « Evaluation du besoin d’aide humaine de l’enfant : la fin de la déduction du temps consacré à un enfant “ordinaire” », Gazette du Palais, 18 juin 2024, n°21
RÉFLEXIONs & BILLETS
La question de l’évaluation du besoin en tierce personne d’un enfant polyhandicapé soulève beaucoup de discussions notamment lors de l’expertise durant laquelle le conseil du régleur a tendance à minimiser ce besoin en évoquant le « besoin classique » d’un enfant à bas âge, qui serait déjà dépendant de ses parents pour les gestes du quotidien.
Lorsque l’enfant est très gravement atteint et présente une dépendance quasi-totale, son besoin en tierce personne n’est toutefois plus du tout comparable à l’aide parentale normale.
Comme le soulève exactement un article publié à la Gazette du Palais sur la tierce personne de l’enfant :
« C’est le rôle des parents d’accompagner leur enfant jusqu’à ce qu’il devienne autonome. Les parents vont naturellement prendre en charge leur enfant et profiter des joies que procure l’accompagnement d’un enfant jusqu’à l’âge adulte. Il s’agit d’un rôle enviable puisqu’il pousse la plupart des personnes à fonder une famille.
La situation des parents d’un enfant lourdement handicapé est radicalement différente. (…)
Un enfant présentant un handicap lourd nécessite une assistance qui peut être permanente et ne relevant pas de la maternité et de la paternité. Dans cette hypothèse, il ne pourra être retranché à l’évaluation de la dépendance liée au handicap le temps durant lequel un parent mobilise son attention pour l’entretien d’un enfant ordinaire du même âge.
C’est d’ailleurs sous cette motivation, souvent implicite, que l’expert retient habituellement un besoin en tierce personne quotidien tout au long du nycthémère lorsque le handicap de l’enfant est gravissime (pour une incapacité supérieure à 90% au regard du barème médical). »
(VERNASSIERE S. « L’indemnisation des enfants – l’évaluation du besoin en tierce personne de l’enfant », GP 10 mars 2012)
Dans une très prochaine Gazette, notre consœur mettra à jour cet article important.
Il ne peut donc être procédé à la déduction de l’aide parentale classique dans l’évaluation du besoin de tierce personne.
Par un arrêt du 3 avril 2021, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt qui avait limité le besoin en tierce personne temporaire de l’enfant à 12 heures par jours pour exclure notamment les périodes nocturnes au motif que « l’état de l’enfant, atteint d’un déficit fonctionnel supérieur à 95%, nécessite en permanence une aide humaine pour la satisfaction de ses besoins vitaux »
(CE, 5ème et 6ème chambres réunies, 2 avril 2021, 427283).
Par un arrêt très récent, obtenu par notre cabinet, la Cour d’appel de PARIS explicite la méthode d’indemnisation du besoin en tierce personne d’un enfant né très gravement handicapé :
« La gravité du handicap du jeune homme n'est contestée d'aucune part. Or au regard de la sévérité du handicap de X et de son état d'entière dépendance, ses besoins, alors qu'il requiert une aide attentive constante pour l'ensemble des actes de la vie quotidienne et une disponibilité et une réactivité permanentes d'un tiers à ses côtés, ne peuvent être calculés au seul regard des besoins supplémentaires par comparaison à un enfant du même âge en construction et qui nécessite également une aide quotidienne.
La dépendance de l'intéressé doit en conséquence être intégralement prise en charge, sans déduction du temps consacré à un enfant « ordinaire », vingt-quatre heures par jour depuis sa naissance, sans distinction, non plus, des heures « passives » ou « actives » (étant ici précisé qu'à la date du dernier rapport d'expertise du 4 mai 2018 - soit postérieurement à la consolidation de son état de santé - le jeune homme n'avait qu'une communication très limitée et un vocabulaire de quelques mots, ne tenait pas debout ni assis et ne présentait aucune autonomie motrice, ne pouvait pas se retourner, ne voyait que très peu et se réveillait en criant deux ou trois fois par nuit, devant alors être repositionné dans son lit). »
(Cour d’appel de Paris, Pôle 4 Chambre 10, 2 mai 2024, n° 21/13072)
Il est donc établi que le besoin de tierce personne d’un enfant très gravement handicapé doit être indemnisé sans déduction du besoin d’un enfant du même âge en bonne santé, qui se trouve dans une situation non comparable.
Arrêt : CA Paris, pôle 4, chambre 12, 2 avril 2024, n° 22/03/962 (définitif)
Nouvelle avancée pour les conjoints de victimes indemnisés des frais de garde et d’éducation des enfants lorsque leur conjoint blessé est dans l'incapacité de contribuer à la vie quotidienne du foyer.
Dans cette affaire, un homme victime d’un accident du travail conserve des séquelles graves d'un traumatisme crânien. Son épouse se retrouve seule pour élever ses deux enfants en bas âge, son époux n’étant en mesure de participer à cause de son handicap.
Nous sollicitions donc, pour l'épouse, l’indemnisation de la perte de cette aide jusqu’alors apportée par le mari.
La Cour d'appel de Paris admet la réparation de la perte d’industrie pour la garde et l’éducation des enfants, préjudice qui indemnise le « besoin généré par la disparition des services apportés par son mari » ce qui représente « une charge supplémentaire pour son conjoint ».
Elle précise que ce préjudice « ne se confond pas avec le besoin d’assistance par une tierce personne de la victime directe » et rappelle que sa réparation « est subordonnée à la seule démonstration du besoin et n’est pas soumise à la production de factures ».
La Cour d’appel indemnise ce besoin sur la base de 20€ de l’heure à raison de 412 jours/an jusqu’aux 18 ans de la cadette pour les actes éducatifs, et jusqu’à ses 14 ans révolus pour le besoin de surveillance.
Cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait admis l’indemnisation de ce poste de préjudice pour le veuf d'une victime décédée (Cass. Civ 2ème, 12 octobre 2023, n° 22-11.031).
Il s’agit d’une progression significative notamment pour les victimes d’accident du travail et de leurs proches, dont l'indemnisation est trop souvent amputée en raison de la rente d’incapacité permanente réputée indemniser entièrement l’assistance par tierce personne permanente, y compris en l’absence de majoration de la rente pour tierce personne.
Le cabinet est heureux d’avoir pu contribuer à cette avancée et continue de rechercher des solutions innovantes en faveur des victimes.
Au carrefour entre la médecine et la robotique, le développement des exosquelettes promet des avancées ambitieuses pour les victimes de lourdes atteintes de l’appareil locomoteur et de troubles musculosquelettiques (TMS).
Cet appareil externe correspond à un équipement articulé et motorisé qui assiste la victime dans la marche et dans certaines tâches du quotidien[1]. Il peut être située sur la partie supérieure, la partie inférieure ou l’ensemble du corps.
Il faut distinguer deux types d’exosquelette :
- l’exosquelette d’assistance à l’effort : utilisé dans le cadre de la rééducation physique de personnes handicapées. Aujourd’hui certains centres de rééducation et hôpitaux proposent des séances d’utilisation de l’exosquelette. Cet exosquelette est à la fois un outil de rééducation à la marche et une aide technique à la mobilité.
Comment fonctionne ce dispositif ? Le patient porte un détecteur de mouvement sur le torse. Le robot capte l’intention des gestes et envoie un signal aux jambes motorisées pour faire avancer le patient.
- l’exosquelette amplificateur de force : utilisé pour faciliter le mouvement déjà existant et favoriser le port de charges lourdes. Il a d’abord été utilisé par l’armée pour aider les militaires sur le terrain. Aujourd’hui, il est principalement utilisé dans le domaine du bâtiment et de la santé, simplifiant ainsi les gestes lourds et complexes des ouvriers et employés.
Il existe aujourd’hui une dizaine d’exosquelettes sur le marché, plus ou moins accessibles aux particuliers : Atalante de Wandercraft, BCI de Clinatec, Ekso de Medimex, Indigo, Japet C, Rewalk Robotics, etc. (liste non exhaustive).
Le coût d’un exosquelette varie selon les fournisseurs entre 70 000 et 200 000€ auquel il convient d’ajouter les frais de garantie, maintenances et mises à jour.
Comment prendre en compte ce besoin dans le cadre d’une procédure ?
La victime, assistée de son médecin-conseil et de son avocat, devra au cours de l’expertise médicale faire acter le besoin et la volonté d’acquérir un exosquelette. Quand bien même la technologie est encore en progrès, la question doit être soulevée dès le stade de l’expertise.
Il conviendra ensuite pour la victime de faire des essais en établissement de soin ou centre de rééducation.
Afin d’étudier l’éligibilité du patient à l’exosquelette il sera nécessaire de compléter un dossier médical à faire remplir par le médecin MPR (ou médecin traitant) permettant d’identifier les différents critères d’inclusion et d’exclusion (hauteur et degré des lésions, degré d’autonomie, capacité à se tenir debout avec verticalisateur, mobilité des hanches, etc.)
Il peut s’en suivre ensuite une formation de plusieurs semaines afin d’apprendre à utiliser l’exosquelette en toute sécurité en extérieur et à domicile.
Au niveau de la prise en charge financière de l’exosquelette, l’avocat de la victime aura un rôle important à jouer auprès de l’assureur en sollicitant l’avance des frais d’acquisition ou de location du matériel (sous forme de rente par exemple).
Il conviendra d’être vigilant sur les conséquences d’une telle demande de prise en charge.
En effet, l’exosquelette permettant à la victime de se déplacer et d’accomplir des tâches quotidiennes, il faudra veiller à ce que le besoin en tierce personne soit correctement évalué et préservé.
En l’état de la science et de la technologie, l’exosquelette ne peut en rien exclure l’assistance d’une tierce personne pour l’habillage, la toilette, les transferts, et tout acte complexe nécessitant une présence active ou de réassurance.
Il est certain que le débat indemnitaire pourra être vif s’agissant de matériels onéreux mais il est indispensable de le mener pour améliorer la prise en charge des victimes.
Emma DINPARAST
Avocate au Barreau de PARIS
[1] Revue française du dommage corporel, 2021, Tome 47 – N°1
accident du travail
faute inexcusable
frais divers
jardinage
tierce personne
Cassation, civile 2, 9 juillet 2015, 14-15.309
Chacun a pu étouffer sous la chaleur estivale, se dépêcher d’acheter le ventilateur dernier cri, et s’interroger légitimement sur l’indemnisation des frais exposés pour entretenir son jardin en matière de faute inexcusable : faut-il les indemniser au titre des frais divers ou de la tierce personne ?
Par un arrêt du 9 juillet 2015, les sages de la Cour de cassation ont permis à certains jardiniers de pouvoir commencer les travaux de jardinage sans la crainte de ne pas être réglés, en répondant clairement en matière de faute inexcusable : les frais d’entretien du jardin doivent être indemnisés au titre des frais divers.
En l’espèce, la victime « ne peut plus passer le motoculteur, assurer les travaux de taille des arbres et des arbustes, d'entretien des haies et des massifs et préparer le bois ». La Cour considère que l’indemnisation au titre des frais divers devait être prise en compte et que celle-ci comporte « le coût d'accomplissement, par un professionnel, des travaux de taille des arbres et des arbustes, d'entretien des haies ».
La victime demandait à la Cour d’aller plus loin en considérant que l’entretien du jardin pouvait donner lieu à une indemnisation au titre de la tierce personne pour la raison que les textes du code de la sécurité sociale ne prévoient pas ce type d’aide. Mais la Cour de cassation se contente de valider un remboursement de frais de jardinage (sur la tierce personne permanente en matière de faute inexcusable voir aussi : Civ. 2ème, 19 décembre 2013, n°12-28930).
Par Dahbia ZEGOUT le jeudi 23 juillet 2015, 10:11