Cabinet Bibal

Réflexions & billets

RÉFLEXIONs & BILLETS 

 

La JP du Cabinet Bibal - Perte en industrie du conjoint victime par ricochet

Arrêt : CA Paris, pôle 4, chambre 12, 2 avril 2024, n° 22/03/962 (définitif)

Nouvelle avancée pour les conjoints de victimes indemnisés des frais de garde et d’éducation des enfants lorsque leur conjoint blessé est dans l'incapacité de contribuer à la vie quotidienne du foyer.

Dans cette affaire, un homme victime d’un accident du travail conserve des séquelles graves d'un traumatisme crânien. Son épouse se retrouve seule pour élever ses deux enfants en bas âge, son époux n’étant en mesure de participer à cause de son handicap.

Nous sollicitions donc, pour l'épouse, l’indemnisation de la perte de cette aide jusqu’alors apportée par le mari.

La Cour d'appel de Paris admet la réparation de la perte d’industrie pour la garde et l’éducation des enfants, préjudice qui indemnise le « besoin généré par la disparition des services apportés par son mari » ce qui représente « une charge supplémentaire pour son conjoint ».

Elle précise que ce préjudice « ne se confond pas avec le besoin d’assistance par une tierce personne de la victime directe » et rappelle que sa réparation « est subordonnée à la seule démonstration du besoin et n’est pas soumise à la production de factures ».

La Cour d’appel indemnise ce besoin sur la base de 20€ de l’heure à raison de 412 jours/an jusqu’aux 18 ans de la cadette pour les actes éducatifs, et jusqu’à ses 14 ans révolus pour le besoin de surveillance.

Cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait admis l’indemnisation de ce poste de préjudice pour le veuf d'une victime décédée (Cass. Civ 2ème, 12 octobre 2023, n° 22-11.031).

Il s’agit d’une progression significative notamment pour les victimes d’accident du travail et de leurs proches, dont l'indemnisation est trop souvent amputée en raison de la rente d’incapacité permanente réputée indemniser entièrement l’assistance par tierce personne permanente, y compris en l’absence de majoration de la rente pour tierce personne.

Le cabinet est heureux d’avoir pu contribuer à cette avancée et continue de rechercher des solutions innovantes en faveur des victimes.

Contribution aux débats sur la recevabilité des parties civiles

Contribution aux débats sur la recevabilité des parties civiles

A propos des victimes de l’attentat de Nice

 

En raison de leur ampleur extraordinaire, les attentats de masse de 2015 et de 2016 ont fait de très nombreuses victimes blessées sur le plan physique et psychologique. A cette occasion, la question s’est posée du critère à retenir pour encadrer la recevabilité de la constitution de partie civile des milliers de victimes de ces attentats.

S’agissant de l’attentat commis le 14 juillet 2016 à Nice, la question est d’autant plus sensible que les faits se sont déroulés dans un lieu public particulièrement étendu, avec toutes les difficultés d’appréciation que peut soulever une telle configuration.

L’action civile en réparation du dommage causé par une infraction est régie par l’article 2 du Code de procédure pénale qui dispose qu’elle « appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. » Elle suppose deux conditions cumulatives : l’existence d’une infraction punissable, d’un fait pénalement incriminé à l’origine du dommage (I) et la justification d’une atteinte directe et personnelle (II).

 

I.         Sur l’existence d’une infraction punissable

L’infraction concernée par la constitution de partie civile est d’abord l’infraction d’atteinte à la vie ou de tentative d’atteinte à la vie à caractère terroriste (A), mais également toutes les infractions connexes à celle-ci telle que l’association de malfaiteurs (B).

A.    Sur l’infraction terroriste

Les articles 221-1 et 222-1 du code pénal incriminent pénalement les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité physique ou psychique de la personne. Aux termes de l’article 421-1 de ce même code, ces infractions revêtent le caractère d’actes de terrorisme « lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective, ayant pour but de troubler gravement à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

L’attentat de Nice du 14 juillet 2016 est indiscutablement constitutif de crime d’atteinte volontaire à la vie et à l’intégrité physique ou psychique de la personne, revêtant en outre le caractère d’actes de terrorisme. Cette qualification a d’ailleurs été retenue dans l’arrêt pénal rendu par la Cour d’assises spéciale de Paris du 16 décembre 2022.  

Il sera également rappelé qu’aux termes des articles 121-4 et 121-5 du code pénal, la tentative constitue une infraction au même titre que le crime lui-même. Celle-ci suppose la réunion de deux conditions cumulatives : l’existence d’un commencement d’exécution qui se caractérise par un acte matériel qui tend directement à la commission de l’infraction, et l’absence d’un désistement volontaire. En effet, la commission de l’infraction doit avoir été suspendue en raison de circonstances extérieures et indépendantes de la volonté de l’auteur de l’infraction ou manquée.

Dans l’hypothèse de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, l’auteur de l’attentat avait manifestement l’intention de tuer le plus grand nombre de personnes présentes sur la Promenade des Anglais le soir du 14 juillet 2016. Il a d’ailleurs été établi lors de l’instruction judiciaire qu’il projetait de parcourir l’intégralité de la Promenade, notamment grâce aux nombreux enregistrements vidéo qui le situaient à différents endroits de la Promenade des anglais et sur le quai des Etats Unis dans les jours et les heures précédant l’attentat. Il est donc évident que Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait pour intention de poursuivre son parcours au-delà de son arrêt, jusqu’au quai des Etats Unis.

Les faits du 14 juillet 2016 constituent manifestement un commencement d’exécution de l’infraction d’atteinte volontaire à la vie et à l’intégrité physique ou psychique des personnes situées sur la Promenade des anglais après l’arrêt du camion, soit entre la rue du congrès et le port de Nice. Cette tentative d’homicide n’a été suspendue que par une défaillance technique du camion, entièrement étrangère à la volonté de son auteur et causée par l’effet de percussions répétées avec les corps des victimes, les objets et le mobilier urbain.

Par conséquent, les personnes qui se trouvaient en aval du camion sur la Promenade des anglais ont été victimes d’une tentative d’homicide et sont de ce fait recevables à se constituer partie civile dès lors qu’elles démontrent l’existence d’une atteinte directe et personnelle résultant de cette infraction.

A cet égard, le Professeur Amane GORGOZA relève que « relativement à l’assassinat et à la tentative d’assassinat, qualifications retenues dans les instructions relatives aux attentats de Nice et de Marseille, les victimes que l’on identifie en premier lieu sont celles qui se trouvent sur la trajectoire du camion assassin, des tirs ou des coups de couteau des terroristes, mais également celles qui se trouvent à leur portée, du moins dans les cas où les terroristes n’ont pas de cible déterminée. Cette première approche peut sembler rigoureuse mais surtout incomplète. D’une part, elle ne tient pas compte du fait que l’inaccessibilité de certaines personnes présentes sur le lieu d’un attentat peut découler d’une tentative manquée, laquelle demeure punissable (lors de l’attentat de Nice par exemple, le camion n’a arrêté sa course qu’en raison d’une avarie technique) ». (GORGOZA A. « Attentats de Nice, de Marseille et assaut de Saint-Denis : nouvelle approche de la victime pénale des infractions terroristes », Gaz. Pal. 19 avril 2022, n° 13)

L’existence d’une infraction d’atteinte volontaire à la vie, à l’intégrité physique ou psychique de leur personne ou encore d’une tentative d’atteinte volontaire à leur vie ou à leur intégrité est donc bien caractérisée dans le cas de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016.

 

B.     Sur l’association de malfaiteurs terroriste

Compte-tenu du décès de l’auteur des attentats de Nice, il convient de rappeler que l’action civile peut également être dirigée contre les auteurs d’infractions connexes à l’infraction principale.

En effet, aux termes des articles 375-2 et 480-1 du Code de procédure pénale, les personnes condamnées pour une même infraction sont tenues solidairement des restitutions et des dommages et intérêts. Il est de jurisprudence constante que cette solidarité s’étend également aux infractions unies par un lien de connexité (Cass. Crim. 17 novembre 2004, n° 03-82.657 : voir aussi Cass. Crim, 7 janvier 1843 : Bull. crim n° 1 ; Cass. Crim. 14 décembre 1976 : Bull. crim n° 361 ; Cass. Crim, 31 mai 2000, n0 99-82.657 ; Cass. Crim, 18 octobre 2011, n° 11-81.400).

L’article 203 du Code de procédure pénale définit la connexité des infractions de la manière suivante : « Les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées. »

Ainsi, la constitution de partie civile sur une infraction d’association de malfaiteurs est recevable lorsque des assassinats et/ou tentatives d’assassinats ont été commis et que ceux-ci trouvent directement leur source dans l’association de malfaiteurs (Cour Cass. Crim., 27 janvier 1993, n° 92-81.452 ; Cass. Crim., 29 mai 2013, n° 12-85.062). Ce principe fait l’objet d’une jurisprudence constante, y compris en matière d’infractions terroristes (Cour d’assises spécialement composée de Paris, 16 janvier 2018, n° 17/0010 ; Cour d’assises d’appel spécialement composée de Paris, 17 juin 2019, n°17/0079 ; Cour d’assises d’appel spécialement composée de paris, arrêt civil, 14 avril 2021, n°19/0014)

En conséquence, les personnes victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 sont recevables à se constituer partie civile à l’égard des personnes condamnées au titre d’une association de malfaiteurs terroristes.

 

II.                Sur l’existence d’une atteinte directe et personnelle

L’article 2 du code de procédure pénale exige ensuite que la personne qui entend se constituer partie civile ait subi une attente directe et personnelle résultant de l’infraction dont elle a été victime.

Les attentats de masse de 2015 et de 2016 ont causé une atteinte directe et personnelle à de très nombreuses personnes. Concernant l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, la Cour d’Assises spécialement composée a retenu dans son arrêt pénal que « le périple meurtrier de Mohamed LAHOUAIEJ-BOUHLEL a finalement causé la mort de 86 personnes dont 33 victimes de nationalité étrangère. Il a tué indifféremment des personnes âgées, des hommes, des femmes, des enfants, plusieurs membres d’une même famille (jusqu’à six membres) dont 15 mineurs parmi lesquels de très jeunes enfants n’ayant pas encore trois ans. Il a également blessé physiquement près de 400 personnes et psychiquement plusieurs milliers de personnes qu’elles se soient trouvées sur la trajectoire du camion, dans le périmètre de l’attentat ou à proximité, qu’elles aient souffert des conséquences de celui-ci par leurs interventions sur la scène de crime pour sécuriser les lieux, porter secours ou rechercher des proches disparus, mais également du fait des liens d’affection et de proximité entretenus avec les personnes décédées ou blessées. »

Il est donc possible de distinguer les victimes présentes sur les lieux, blessées physiquement et psychiquement (A), des victimes atteintes indirectement du fait de leurs liens d’affection et de proximité avec les victimes présentes sur les lieux (B). L’une et l’autre devront être déclarées recevables à se constituer partie civile.

 

A.    Sur la recevabilité des victimes immédiates

L’article 2 du code de procédure pénale prévoit que chaque personne qui subit un préjudice personnel directement causé par une infraction est recevable à se constituer partie civile. Il sera souligné que le texte ne distingue pas selon que le dommage est physique ou psychique, résultant du traumatisme dont souffre la victime de l’infraction. Ce préjudice doit simplement avoir été directement causé par l’infraction poursuivie. L’article 3 de ce même code précise que l’action civile « sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découlent des faits objets de la poursuite ».

Il n’est pas contestable ni contesté que les personnes blessées physiquement après avoir été percutées par le camion ont subi une atteinte personnelle et directement causée par l’infraction terroriste. Les constitutions de parties civiles des personnes ayant été blessées physiquement le 14 juillet 2016 sont donc évidemment recevables.

En outre, les personnes blessées physiquement en tentant de fuir doivent également être déclarées recevables dans leur constitution de partie civile. Celles-ci ont en effet subi une atteinte corporelle, et donc personnelle, qui a directement été causée par l’action du terroriste. Par un arrêt du 15 février 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation retient s’agissant de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, que « les circonstances que [la cour d’appel] retient, desquelles il ressort que Madame D. s’est blessée en tentant de fuir le lieu d’une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée, initiative indissociable de l’action criminelle qui l’a déterminée, suffisent à caractériser la possibilité du préjudice allégué et de la relation directe de celui-ci avec les assassinats et tentatives ». Dans ce cas d’espèce, il s’agissait d’une personne qui se trouvait au niveau de l’Hôtel Le Méridien, soit environ à 250 mètres au-delà de la rue du Congrès où s’est arrêté le camion.

Il résulte de cette jurisprudence que les personnes présentes à proximité des lieux de l’attentat, et qui ont été blessées physiquement en tentant de fuir l’attaque meurtrière du camion devront être déclarées recevables à se constituer partie civile, indépendamment de la distance qui les séparaient du point d’arrêt du camion.

De la même manière, les personnes présentes à proximité du lieu de l’attentat et qui souffrent d’un préjudice psychique devront également être déclarées recevables à se constituer partie civile, la nature des blessures physiques ou psychiques étant indifférente. Ce principe a notamment été rappelé dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 juin 2019 (Cass. Crim, 4 juin 2019, n° 18-84.720) et le Code pénal incrimine d’ailleurs de manière indifférenciée les atteintes à l’intégrité physique que les atteintes à l’intégrité psychique de la personne (cf. Intitulé du Chapitre II du Titre II du Livre II du Code pénal).

Il est certain que les personnes présentes à proximité d’un attentat de masse ont souffert d’un préjudice personnel. La peur extrême et les visions d’horreur auxquelles elles ont été exposées en raison de l’acte terroriste, sont directement à l’origine de conséquences traumatiques majeures. Il est en effet établi que le simple fait d’avoir assisté à des comportements inhumains peut suffire à déclencher chez cette personne un état pathologique post-traumatique. Le « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » (DMS-5) relève que cette pathologie prend sa source dans une « Exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles d’une ou de plusieurs des façons suivantes : 1° En étant directement exposé à un ou plusieurs évènements traumatiques ; 2° En étant témoin direct à un ou plusieurs évènements traumatiques survenus à d’autres personnes ».

Il sera également rappelé que la blessure psychique est désormais largement admise en droit de la réparation du préjudice corporel. Le Professeur Stéphanie PORCHY-SIMON souligne l’évolution de la notion juridique de victime du dommage corporel à la suite de la vague d’attentats survenue à partir de 2015 et la nécessité d’y intégrer les blessures psychiques des personnes ayant assisté à ces évènements tragiques : « Le témoignage des personnes impliquées dans ces évènements a notamment permis de prendre conscience de la gravité des conséquences du stress post-traumatique et de concevoir, qu’en dehors ou au-delà des blessures purement physiques, celles qui avaient été confrontées à leur violence en étaient réellement victimes, au sens moral, mais surtout juridique du terme, du fait de l’atteinte psychique irréversible causée par ces évènements. » (PORCHY-SIMON S. « Les victimes de dommage corporel : retour sur deux concepts fondamentaux du droit de la réparation », D. 2021.296)

Les personnes blessées psychiquement après avoir été exposées à un attentat de masse souffrent donc d’un préjudice certain, et en relation directe avec l’infraction terroriste.

En effet, l’atteinte directe et personnelle qui justifie la mise en œuvre de l’action civile au sens de l’article 2 du code de procédure civile doit avant tout être celle qui reflète la valeur sociale protégée par le texte d’incrimination. Elle correspond au résultat redouté de l’infraction. Or précisément, en matière de terrorisme, l’auteur a pour objectif premier de porter atteinte à l’intégrité psychique des personnes présentes sur le lieu de l’attentat, par l’intimidation et la terreur. L’infraction d’atteinte à la vie des personnes n’est que le support de l’infraction à caractère terroriste.

A cet égard, le Professeur Yves MAYAUD retient que « le fait que l’action terroriste soit incriminée par référence à une qualification existante ne la prive pas de sa propre nature, liée au but qu’elle poursuit « de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » : c’est précisément ce trouble qui sert d’assise à l’action civile, pour y faire entrer toutes les personnes qui, sans avoir été la cible directe de l’acte meurtrier, n’en sont pas moins atteintes par ce qu’il a fait naître en elles d’‘intimidation’ et de ‘terreur’. Là nous semble être l’explication, et une explication qui, par la juste correspondance avec la raison d’être de l’incrimination du terrorisme, mérite approbation et vaut en soi justification ». (MAYAUD Y. « Une meilleure protection des victimes du terrorisme par une conception plus large de la notion de partie civile », RSC 2022 p. 332)

En réalité, la relation directe entre la blessure psychique et l’infraction terroriste résulte de la croyance légitime d’avoir été exposée à un acte terroriste visant à tuer indistinctement un grand nombre de personnes. Ce critère est précisément celui retenu par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Crim, 15 février 2022, n°21-80.265 ; Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-85.828 ; Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-82.778) et permet d’appréhender toutes les victimes immédiatement affectées par l’infraction terroriste.

Il avait également été implicitement retenu par la Cour d’assises de Paris dans son arrêt du 16 janvier 2018, qui avait déclaré recevables les constitutions de nombreuses parties civiles présentes à proximité de l'École Ozar Hatorah lors des attentats du 19 mars 2012, qui avaient entendu les tirs, vu les corps, fuit le lieu de l’attentat ou s’étaient cachés, et qui avaient conservé des séquelles psychologiques (Cour d’assises de Paris, 16 janvier 2018, n° 17/0010).

En revanche, le critère géographique consistant à délimiter un périmètre, qui a parfois pu être retenu par la jurisprudence, ne permet pas de rendre compte de la réalité des préjudices subis par les personnes présentes sur les lieux de l’attentat et doit donc être écarté.

La Cour de cassation a d’ailleurs très récemment jugé, dans un arrêt du 24 janvier 2023 relatif aux attentats de Barcelone, que le seul critère de la trajectoire ne suffit pas à exclure l’existence d’un lien direct entre l’infraction et le préjudice allégué. En l’espèce, « c’est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n’était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que l’intéressée ne s’était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette. Néanmoins, […] si Mme X se trouvait à proximité, elle n’a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler de sorte qu’elle ne s’est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l’existence d’un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n’est pas caractérisée. » (Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-85.828 ; voir également Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-82.778).

La recevabilité de la constitution de partie civile est donc subordonnée d’une part, à la proximité de la victime avec les lieux de l’attentat, sans pour autant délimiter de périmètre géographique strict, et d’autre part, à la croyance légitime de la victime qui en résulte d’avoir été exposée à un acte terroriste.

S’agissant de l’attentat de Nice, les personnes présentes sur la Promenade des Anglais ont assisté à l’exécution de dizaines de personnes violemment percutées par un camion de dix-neuf tonnes, redouté l’explosion du camion ou l’arrivée d’un commando terroriste dans un contexte de peur et d’angoisse extrême, et se sont retrouvées au milieu de centaines de corps. En raison de la gravité des faits, ces personnes avaient nécessairement conscience d’avoir été exposée à un acte terroriste visant à tuer indistinctement un grand nombre de personnes et ont pu légitimement craindre pour leur vie. La situation de chaque victime sur la trajectoire exacte du camion est indifférente pour établir la réalité de leur préjudice.  

La Cour d’assises spécialement composée souligne d’ailleurs à juste titre dans son arrêt pénal la blessure psychique des milliers de personnes se trouvant à proximité du lieu des attentats en retenant : « Il a également blessé physiquement près de 400 personnes et psychiquement plusieurs milliers de personnes qu’elles se soient trouvées sur la trajectoire du camion, dans le périmètre de l’attentat ou à proximité. »

Il résulte de tous les éléments qui précèdent que les personnes présentes sur la Promenade des anglais, qui se sont légitimement crues exposées à un danger de mort et qui ont subi un traumatisme psychique, ont subi un préjudice personnel en relation directe avec l’infraction terroriste et devront par conséquent être déclarées recevables à se constituer parties civiles.

 

B.     Sur la recevabilité des victimes médiates

Enfin, les proches des victimes immédiates sont également recevables à se constituer parties civiles devant les juridictions répressives quelle que soit l’infraction poursuivie (Cass. Crim., 9 février 1989 : D 1989. 614 ; Cass. Crim., 1er juillet 1994 : Bull. crim. n° 269).

Il est en effet établi que les proches des victimes d’attentat subissent eux-mêmes un préjudice direct et personnel non négligeable qui justifie la recevabilité de leurs constitution de partie civile. S’agissant des attentats du 13 novembre 2015, la Cour d’assises spécialement composée de Paris avait à ce titre souligné dans son arrêt du 25 octobre 2022 qu’un « préjudice peut être retenu pour les proches en cas de survie de la victime directe, afin de prendre en compte l’affliction des proches à la vue de sa déchéance, de sa douleur et de la diminution de ses capacités physiques et psychologiques ; et que les proches des victimes directes ont subi un traumatisme consécutif à la vision ou la découverte de la mort ou des blessures – qu’elles soient physiques ou psychologiques – de leurs parents. »

Le degré de parenté ou la nature des liens entre la victime directe et la victime par ricochet sont d’ailleurs indifférents (Cass. Mixte, 27 février 1970, n° 68-10.276 ; Cass. Civ 2ème, 16 avril 1996, n° 94-13-613 ; Cass. Crim 17 octobre 2000, n° 99-86.157), de même que le décès ou la survie de la victime directe (Cass. Crim., 19 juin 1985, n° 85-91.653 et très récemment, Cass. Civ 2ème, 27 octobre 2022, n° 21-24.424, 21-24.425, 21-24.426).

Les proches des victimes présentes lors de l’attentat de Nice ont subi un préjudice conséquent, résultant directement de l’attentat, qui justifie donc la recevabilité de leur constitution de parties civiles.

 

Frédéric BIBAL Aline Servia Chloé DAVID 

Les exosquelettes dans le débat indemnitaire

Au carrefour entre la médecine et la robotique, le développement des exosquelettes promet des avancées ambitieuses pour les victimes de lourdes atteintes de l’appareil locomoteur et de troubles musculosquelettiques (TMS).

Cet appareil externe correspond à un équipement articulé et motorisé qui assiste la victime dans la marche et dans certaines tâches du quotidien[1]. Il peut être située sur la partie supérieure, la partie inférieure ou l’ensemble du corps.

Exemple de robot d’assistance du corps entier de type exosquelette (Wandercraft) 

Il faut distinguer deux types d’exosquelette :

- l’exosquelette d’assistance à l’effort : utilisé dans le cadre de la rééducation physique de personnes handicapées. Aujourd’hui certains centres de rééducation et hôpitaux proposent des séances d’utilisation de l’exosquelette. Cet exosquelette est à la fois un outil de rééducation à la marche et une aide technique à la mobilité.

Comment fonctionne ce dispositif ? Le patient porte un détecteur de mouvement sur le torse. Le robot capte l’intention des gestes et envoie un signal aux jambes motorisées pour faire avancer le patient.

- l’exosquelette amplificateur de force : utilisé pour faciliter le mouvement déjà existant et favoriser le port de charges lourdes. Il a d’abord été utilisé par l’armée pour aider les militaires sur le terrain. Aujourd’hui, il est principalement utilisé dans le domaine du bâtiment et de la santé, simplifiant ainsi les gestes lourds et complexes des ouvriers et employés.

Il existe aujourd’hui une dizaine d’exosquelettes sur le marché, plus ou moins accessibles aux particuliers : Atalante de Wandercraft, BCI de Clinatec, Ekso de Medimex, Indigo, Japet C, Rewalk Robotics, etc. (liste non exhaustive).

Le coût d’un exosquelette varie selon les fournisseurs entre 70 000 et 200 000€ auquel il convient d’ajouter les frais de garantie, maintenances et mises à jour.

Comment prendre en compte ce besoin dans le cadre d’une procédure ?

La victime, assistée de son médecin-conseil et de son avocat, devra au cours de l’expertise médicale faire acter le besoin et la volonté d’acquérir un exosquelette. Quand bien même la technologie est encore en progrès, la question doit être soulevée dès le stade de l’expertise.

Il conviendra ensuite pour la victime de faire des essais en établissement de soin ou centre de rééducation.

Afin d’étudier l’éligibilité du patient à l’exosquelette il sera nécessaire de compléter un dossier médical à faire remplir par le médecin MPR (ou médecin traitant) permettant d’identifier les différents critères d’inclusion et d’exclusion (hauteur et degré des lésions, degré d’autonomie, capacité à se tenir debout avec verticalisateur, mobilité des hanches, etc.)

Il peut s’en suivre ensuite une formation de plusieurs semaines afin d’apprendre à utiliser l’exosquelette en toute sécurité en extérieur et à domicile.

Au niveau de la prise en charge financière de l’exosquelette, l’avocat de la victime aura un rôle important à jouer auprès de l’assureur en sollicitant l’avance des frais d’acquisition ou de location du matériel (sous forme de rente par exemple).

Il conviendra d’être vigilant sur les conséquences d’une telle demande de prise en charge.

En effet, l’exosquelette permettant à la victime de se déplacer et d’accomplir des tâches quotidiennes, il faudra veiller à ce que le besoin en tierce personne soit correctement évalué et préservé.

En l’état de la science et de la technologie, l’exosquelette ne peut en rien exclure l’assistance d’une tierce personne pour l’habillage, la toilette, les transferts, et tout acte complexe nécessitant une présence active ou de réassurance.

Il est certain que le débat indemnitaire pourra être vif s’agissant de matériels onéreux mais il est indispensable de le mener pour améliorer la prise en charge des victimes.

Emma DINPARAST

Avocate au Barreau de PARIS

[1] Revue française du dommage corporel, 2021, Tome 47 – N°1

Réparation du dommage corporel et dette de valeur : quelques jurisprudences récentes

Article rédigé par Me Daphné TAPINOS et Me Frédéric BIBAL dans le Journal de Droit de la Santé et de l'Assurance Maladie 2021.

La réparation du dommage corporel constitue une dette de valeur, autrement dit elle n’est pas un simple remboursement de frais exposés à la suite du dommage mais bien la restauration d’une capacité perdue qui doit être évaluée au jour du jugement et sans que la victime soit tenue de produire des justificatifs de dépenses

Pour lire l’article complet, cliquez ici (page 78).

Indemnisation par l’ONIAM des séquelles d’un accouchement par voie basse

Par un important arrêt du 19 juin 2019 (n°18-20.883), publié au Bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’indemnisation par la solidarité nationale de séquelles survenues à l’occasion de manœuvres obstétricales pratiquées lors d’un accouchement par voie basse.

En l’espèce, en effet, au cours d’un accouchement et en raison d’une dystocie des épaules de l’enfant à naître (situation dans laquelle la tête fœtale ayant franchi la vulve, les épaules ne s’engagent pas), le gynécologue obstétricien avait effectué des manoeuvres d’urgences obstétricales, en particulier la manœuvre dite de Jacquemier, consistant à exercer une traction sur les racines du plexus et sur la tête fœtale, ayant engendré, chez l’enfant un plexus brachial droit. Par un arrêt confirmatif, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait estimé qu’il s’agissait d’un accident médical indemnisable par l’ONIAM et avait alloué à l’enfant, en l’absence de consolidation de ce dernier, une provision à valoir sur son préjudice corporel. Aux termes de son pourvoi, l’ONIAM ne discutait plus devant la Cour de cassation le fait que si l’accouchement par voie basse ne constitue pas en soi un acte médical, les manoeuvres obstétricales pratiquées devaient être nécessairement regardées comme tel. En revanche, l’ONIAM contestait le lien de causalité entre ces manœuvres et le plexus brachial. La question se posait donc de savoir si le plexus brachial, présenté par l’enfant, était imputable aux dites manœuvres aux sens des dispositions de l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique et constituait donc un accident médical ayant vocation à être pris en charge par la solidarité nationale. Dans son arrêt du 19 juin 2019, et alors même que la question ne lui était donc pas posée, la haute juridiction judiciaire énonce, de manière didactique que « si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique ». Cette affirmation est bien venue car c’est la première fois que la Cour de cassation a l’occasion de souligner que les actes de soins réalisés lors d’un accouchement par voie basse peuvent relever des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. On sait qu’il résulte de ces dispositions que, pour être indemnisé par l’ONIAM, le dommage doit d’une part, être imputable à un acte de soins et d’autre part, présenter un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état.

 

S’agissant de la première condition tenant à l’imputabilité du plexus brachial aux manœuvres obstétricales pratiquées par le gynécologue, la Cour de cassation relève que l’arrêt des juges du fond constate que « les experts notent d’une part, que l’enfant ne présentait pas, au cours de sa vie intra-utérine et au moment précis de sa naissance, d’anomalies qui auraient pu interférer sur la paralysie obstétricale et sur le déroulement de l’accouchement, d’autre part, que la dystocie des épaules est une complication à risque majeur pour l’enfant, telle la lésion du plexus brachial, et que, pour faire face à la dystocie, les manœuvres les plus fréquemment utilisées sont celles qu’à réalisées le praticien ». Elle souligne ensuite que la cour d’appel retient que « ces manœuvres, au cours desquelles une traction est exercée sur les racines du plexus sur la tête fœtale, ont engendré la paralysie du plexus brachial » et qu’elle n’a donc pu « qu’en déduire que les préjudices subis par l’enfant étaient directement imputables à un acte de soins ».

 

S’agissant de la seconde condition, tentant à l’anormalité du dommage, la première chambre civile rappelle sa jurisprudence selon laquelle « lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible » (Cass. 1ère civ., 15 juin 2016, n°15-16.824)*. Et la Cour de préciser que « pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ».

En l’espèce, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir énoncé que le risque issu de la réalisation des manœuvres obstétricales, constitué par la paralysie du plexus brachial, est notablement moins grave que le décès possible de l’enfant. Dès lors, elle approuve les premiers juges de s’être référé à la probabilité de survenance du dommage. Et en l’espèce, la cour d’appel avait, en effet, retenu que « si l’élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules, les séquelles permanentes de paralysie sont beaucoup plus rares, entre 1% et 2,5% de ces cas, de sorte que la survenance du dommage présentait une faible probabilité ». Il en résulte, pour la Cour de cassation, que l’anormalité du dommage était bien caractérisée et l’ONIAM tenu à indemnisation. La probabilité de survenance du risque qui est prise en compte n’est donc pas celle liée à n’importe quel type de risque ou de complication (tel l’élongation du plexus brachial en cas de dystocie des épaules) mais celle liée à un risque du même type (séquelles permanentes de paralysie) que celui qui s’est réalisé pour la victime à la suite de la réalisation des manœuvres obstétricales. S’agissant de la notion de « probabilité faible », dans un récent arrêt du Conseil d’état, ce dernier avait censuré une cour administrative d’appel ayant retenu qu’un pourcentage de survenance du risque encouru de 3% n’était pas une probabilité faible (CE, 4 février 2019, n°413247). A l’inverse dans l’arrêt précité de la première chambre civile du 15 juin 2016, celle-ci avait qualifié d’élevée la fréquence de survenue du risque qui était de 6 à 8%.


* L’exigence d’une faible probabilité de survenance du risque est une notion jurisprudentielle qui ne figurait pas initialement dans la loi du 4 mars 2002. Elle participe d’une interprétation restrictive de cette dernière.

Daphné TAPINOS

Avocat au Barreau de Paris

Victimes d'incendie collectif, le Tribunal de grande instance de Paris reconnait la spécificité des préjudices

Dans l’affaire de l’incendie de l’hôtel Paris Opéra, la  19ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 21 janvier 2019 un jugement donnant une définition des préjudices d’angoisse des victimes directes et des préjudices d’attente et d’inquiétude de leurs proches

(TGI Paris 19ème Ch, 21 janvier 2019, n° 14/00108)

Sur le préjudice d'angoisse des victimes directes de l'infraction

« Les parties civiles sollicitent l'indemnisation distincte d'un préjudice d'angoisse de mort qu'elles estiment autonome par rapport au poste de préjudice retenu par la nomenclature Dintilhac et notamment des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent 

Depuis l'instauration de la nomenclature Dintilhac, l’indemnisation des souffrances endurées intègre toutes les souffrances, tant physiques que morales, ainsi que les troubles qui sont associés, subis par une victime pendant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de la consolidation.

Le poste d'indemnisation « Déficit fonctionnel permanent » tend quant à lui à indemniser les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de vie et les troubles définitifs apportés à ses conditions d'existence.

L'angoisse liée à une situation ou des circonstances exceptionnelles résultant d'un acte soudain et brutal provoquant chez la victime, pendant le cours de l'événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d'être confrontée à la mort caractérise une souffrance psychique spécifique. Toutefois, cette souffrance ressentie entre le début du fait traumatique et l’issue de celui-ci constituée soit par la prise en charge par les services de secours de la victime vivante, soit par son décès, apparaît comme une déclinaison des souffrances morales indemnisables au titre du poste de préjudice temporaire intitulé « souffrances endurées ».

En l'espèce, au regard des témoignages recueillis dans le cadre de l'information judiciaire, réitéré pour certains à l'audience et du film réalisé par les pompiers de Paris de l'intervention, une souffrance morale spécifique liée à l’angoisse ressentie par les victimes présentes au sein du bâtiment embrasé de l'hôtel Paris Opéra, peut-être retenue et indemnisée dans le cadre des souffrances endurées.

Les personnes présentes au sein de l'hôtel ont ainsi été victimes d'un événement violent survenu en pleine nuit ayant indéniablement pu provoquer chez celles-ci une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d'être confrontées à la mort notamment en raison de l'intensité de l'incendie et des fumées dégagées, de l'impossibilité de sortir du bâtiment par les escaliers ou sorties de secours et de la nécessité de rester confinés dans les chambres puis de s’agglutiner aux fenêtres, les flammes avançant, ainsi qu'en raison de la vue de la chute de personnes sautant dans le vide ou jetant leurs enfants par les fenêtres pour échapper aux flammes ou de celles de leurs corps écrasés sur le sol.

Monsieur Olivier B., membre du premier véhicule de pompiers de Paris intervenu sur place a ainsi déclaré : « C'était un véritable cauchemar, une scène de guerre. Une pluie de corps s’est abattue sur la voie publique, sous nos yeux. Les gens paniqués jetaient les enfants par les fenêtres finissant pour certains par sauter eux-mêmes. »

Ce constat est confirmé par le visionnage du film placé sous scellé réalisé par les pompiers de Paris qui montre tout à la fois l’importance du sinistre, la rapidité de sa propagation et le fait que les clients de l'hôtel sont restés prisonniers des étages supérieurs du bâtiment sans possibilité de fuite et n’ont dû leur salut, pour ceux qui n'ont pas sauté dans le vide, qu'à l'intervention rapide des pompiers à l'aide d'échelles de grande dimension.

Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l'infraction subie qui a amplifié ce sentiment d'angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu'en raison de la présence de familles entières et notamment d'enfants compte tenu de la destination du bâtiment ayant pris feu et de l’heure de survenue de l'incendie.»


Sur le préjudice d'attente des victimes indirectes de l'infraction :

« Les parties civiles sollicitent l’indemnisation distincte d’un préjudice spécifique d'attente et d'inquiétude qu'elles estiment autonome par rapport aux postes de préjudices retenus par la nomenclature Dintilhac et notamment des souffrances endurées et du préjudice moral et d'affection des proches, et qui a été retenu par certaines juridictions en cas de catastrophe collective. Selon elles, un tel préjudice se caractérise dans la présente procédure par les longues heures d'attente pendant lesquelles les proches sont demeurés dans l'incertitude quant à la gravité des blessures ou de l'indication de la structure hospitalière vers laquelle ont été orientés leurs proches parents, par la nécessité de se rendre dans une chapelle ardente de fortune ou dans une morgue ou étaient conservés des corps voués à une reconnaissance impossible ou insoutenable, par la difficulté de s'isoler et de se recueillir compte tenu des contingences administratives mais aussi de l'ampleur de la catastrophe accentuée par la présence des médias et de l'émotion collective qui s’en est suivie, de la diffusion des images ou de la proximité avec les autres familles endeuillées. 

En l’espèce, le préjudice revendiqué par certains requérants se cristallise pendant une période plus ou moins longue entre le moment où l'incendie de l'hôtel Paris Opéra s'est déclenché et le moment où, alors qu'ils n’étaient pas sur place, ils ont eu connaissance de l'événement et sont restés dans l'incertitude de savoir si leurs proches étaient des victimes, s'ils étaient toujours en vie et où il se trouvaient.

Cette période est indéniablement source d'un traumatisme pour les personnes concernées et peut au demeurant être évaluée pour certaines d'entre elles sans expertise médico-légale contenu de l'évidence de la catastrophe survenue. Ce préjudice ne se confond ni avec le préjudice d'affection, ni avec le préjudice d’accompagnement puisqu'il naît et se termine pendant une période antérieure et ne concerne que le vécu d'un proche sans nouvelles d’une personne concernée par l'incendie.

Cependant, depuis l'instauration de la nomenclature Dintilhac qui est appliquée par l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire, l’indemnisation des souffrances endurées intègre toutes les souffrances, tant physiques que morales, ainsi que les troubles qui y sont associés, subies par une victime pendant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de la consolidation. Ce poste de  préjudice a vocation à englober le préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes indirectes de catastrophes collectives qui ressentent une douleur morale intense dans des circonstances dramatiques. Pour certaines, une expertise médico-légale a d'ailleurs été ordonnée afin d'évaluer leurs séquelles définitives. En toute hypothèse, il appartient à la juridiction saisie, y compris en l'absence d'expertise, d'évaluer souverainement le quantum des souffrances endurées en fonction de la réalité de ce que chaque requérant a pu vivre.

Ainsi, au regard des témoignages recueillis dans le cadre de l'information judiciaire, une souffrance morale spécifique liée à l’attente et à l’incertitude  dans laquelle sont demeurés les proches de victimes directes entre l'information générale reçue, généralement par le biais des médias, concernant l'incendie et l’information précise concernant le sort de leur(s) proche(s), peut-être retenue et indemnisée dans le cadre des souffrances endurées et évaluée au regard de la situation personnelle de chaque personne concernée.»

Alerte sur les droits des victimes d'attentat

Le gouvernement vient de déposer à la dernière minute un amendement à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la Justice (n°463 au Sénat, examinée en procédure d’urgence).

Le texte de cet amendement prévoit :

  • La suppression du droit de faire évaluer les préjudices des victimes d’attentat par le juge pénal

  • L’instauration d’une seule juridiction à Paris pour l’indemnisation  des victimes d’attentat

C’est la fin du droit à la proximité et du droit à faire juger les préjudices par la juridiction qui juge le crime terroriste.

Une autre voie était parfaitement possible pour spécialiser les juridictions : la création de pôles régionaux et l’amélioration des règles de procédure pour indemniser les préjudices au pénal.

Au lieu de cela le gouvernement supprime l’accès au juge civil régional et au juge pénal pour toutes les opérations d’indemnisation.

C’est une régression majeure des droits des victimes.

Une réaction urgente de tous les acteurs s’impose.

Préjudice d'angoisse et d'attente : le fonds de garantie dénature les travaux du groupe d'expert ?

Après avoir adopté en mars 2017 dans leur principe les préjudices d'angoisse des victimes directes et les préjudices d'attente et d’inquiétude de leurs proches, le Fonds de garantie devait se prononcer le lundi 25 septembre 2017 sur les modalités d'indemnisation de ces préjudices.

Ces modalités confinent à la dénaturation. 

Sur les points essentiels précédemment retenus par le Livre Blanc des avocats et surtout par le groupe d'expert de Mme PORCHY-SIMON, le Fonds de garantie prend malheureusement une position exactement contraire : 

- une expertise va être imposée aux victimes, alors que certaines ne le souhaitent absolument pas et qu'aucun outil expertal de mesure du préjudice d'angoisse n'existe à ce jour. Apparemment, la direction du FGTI s'estime capable d'élaborer un outil que tous les spécialistes ont récusé jusqu'à présent. Rappelons que des critères situationnels précis avaient été proposés justement pour éviter la mise en place d'une improbable expertise médicale de l'angoisse.

- les montants indemnitaires évoqués sont inférieurs à ce qui a été accepté par des assureurs pour des catastrophes collectives. La promesse d'un traitement équitable des victimes du terrorisme est trahie.

- le préjudice d'attente n'est reconnu que pour les proches de victimes décédées. En d'autres termes, un préjudice portant précisément sur l'incertitude du résultat de l'attaque terroriste n'est indemnisée qu'en fonction de ce résultat ! Le FGTI raisonne comme si la survie de la victime directe annulait rétroactivement l'angoisse de ses proches. C'est aberrant : le préjudice d'attente a une finalité exactement inverse, qui consiste à ne pas discriminer selon les conséquences finales mais selon le vécu personnel de l'événement terroriste. 

Devant cette délibération nous devons croire à l'intelligence collective des victimes et de leurs Conseils pour opposer la réaction qui s'impose. Les préjudices d'angoisse et d'attente sont un fait aujourd'hui incontesté et nous devons unir nos forces pour qu'ils deviennent un droit pleinement reconnu.

Malgré cette délibération. 

L’incidence de la décision pénale sur la preuve de la faute inexcusable

Trop souvent, les juridictions de la Sécurité sociale renvoient l'étude de la faute inexcusable de l'employeur dans l'attente de la décision des juridictions pénales.

Pourtant, si la condamnation pénale de l'employeur semble induire l'existence d'une faute inexcusable, sa relaxe n'empêche en rien la juridiction de la Sécurité sociale de retenir l'existence de cette faute. Ainsi, il revient au Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale de rechercher si les éléments du dossier lui permettent de caractériser la faute inexcusable de l'employeur. 

  • Incidence d’une condamnation

Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'existence d'une condamnation pénale pour non-respect des règles relatives à la sécurité implique nécessairement que l'employeur a eu conscience du danger, dès lors que les règles violées sont liées aux circonstances de l'accident.

Pour illustration, la Haute cour s’est prononcée le 12 octobre 1988 à propos de l’existence d’une faute inexcusable d’un employeur condamné pénalement pour avoir omis de faire vérifier la grue d’un chantier par une personne habilitée.

La Cour d’appel retenait que la grue avait fait l’objet avant l’accident d’une vérification qui n’avait décelé aucun défaut particulier et qu’il n’était pas possible de dire si l’employeur aurait dû avoir conscience du danger.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt au motif que « tout en constatant que les responsables de la société Blanc et Z... avaient été condamnés pénalement pour avoir omis de faire vérifier la grue par une entreprise habilitée, ce qui impliquait un risque dont l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; » (Cass., Soc., 12 octobre 1988, n°86-18758)

Plus récemment, dans un arrêt du 25 avril 2013, la Cour de Cassation retient une automaticité entre la condamnation pénale et l’existence d’une faute inexcusable.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence retenait que l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur ne se présumait pas, même en cas de condamnation pénale de ce dernier et qu’il incombait au salarié d’établir que son employeur l’avait exposé à un danger dont il avait ou aurait dû avoir connaissance.

La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt en précisant :

« Qu'en statuant ainsi, alors que M. Y., en sa qualité de chef d'entreprise, avait été condamné pénalement pour avoir causé, en ne respectant pas les règles de sécurité relatives aux travaux en hauteur, des blessures à l'intéressé, ce dont il résultait qu'il devait avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ; » (Cass., Civ 2., 25 avril 2013, 12-12963).

  • Incidence d’une absence de condamnation

A l’inverse, la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable.

En effet, la Cour de cassation a tiré les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 relative à la définition des délits non intentionnels, qui a inséré dans le Code de procédure pénale un article 4-1 mettant fin à l'unicité des fautes civile et pénale en décidant que la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute non intentionnelle, ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence, de négligence ou une faute inexcusable.

(Civ. 1re, 30 janv.2001, no 98-14.368 , D. 2001.2232, obs. P. Jourdain  , JCP 2001. I. 338, obs. G. Viney, RTD civ. 2001. 376, obs. P. Jourdain. - Civ. 2e, 7 mai 2003, no 01-13.790. - Civ. 2e, 16 sept. 2003, no 01-16.715. - Civ. 2e, 16 févr. 2012, no 11-12.143). 

En effet, la Cour de Cassation a posé ce principe à plusieurs reprises notamment le 16 février 2012 en affirmant que :

« La déclaration par le juge répressif de l'absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une faute inexcusable en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. Il suffit que la faute de l'employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage. Justifie légalement sa décision une cour d'appel qui retient que l'employeur, tenu non seulement de mettre à disposition de ses salariés les dispositifs de sécurité et protection imposés par la loi ou les règlements, mais de leur en imposer l'usage, a commis une faute inexcusable, eu égard aux circonstances de l'accident, alors même qu'il avait été relaxé du chef de blessures involontaires pour avoir manqué de donner à son salarié une formation à la sécurité adaptée à son poste de travail » (Cass., Civ 2., 16 février 2012, n° 11-12.143) 

Cette décision a été confirmée par un arrêt du 15 mars 2012 précisant que :

« la faute pénale non intentionnelle, au sens des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal, est dissociées de la faute inexcusable au sens des dispositions de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale ; qu’il appartient dès lors à la juridiction de la sécurité sociale de rechercher si les éléments du dossier permettent de retenir la faute inexcusable de l’employeur, laquelle s’apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l’infraction d’homicide involontaire » (Cass., Civ 2., 15 mars 2012, n°10-15.503, D.2012., 1316) 

Par conséquent, même en cas de la relaxe de l’employeur par la juridiction pénale, la juridiction de la sécurité sociale doit évaluer l’existence d’une faute inexcusable sur la base des éléments du dossier.

Par Emma DINPARAST

Préjudice d'angoisse des victimes d'attentats

Préjudices d’angoisse et d’attente : grande avancée pour les victimes.

Le conseil d'administration du Fonds de garantie s'est prononcé à l'unanimité en faveur du principe de la reconnaissance du préjudice d’angoisse des victimes directes et du préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes indirectes d’actes de terrorisme. 

Rappelons que le rapport du groupe d'experts présidé par Madame Stéphanie PORCHY-SIMON avait remis le lundi 6 mars 2017 à la Secrétaire d'Etat chargée de l'aide aux victimes, Madame Juliette MEADEL. 

Ce rapport confortait les analyses du Livre blanc des avocats en simplifiant les critères mais en conservant à la fois la possibilité d'une indemnisation des préjudices d'angoisse sans expertise médicale et d'une appréciation in concreto. 

La ministre avait annoncé que le Fonds de garantie réunirait une commission ad-hoc pour tirer les enseignements de ce rapport le mercredi 8 mars 2017 et que le conseil d'administration se réunirait le 27 mars 2017.

Fait très rare, l'ensemble des associations de victimes avait lancé un appel commun pour que le Fonds de garantie reconnaisse ces postes. Le barreau de Paris avait également publié un communiqué

La reconnaissance de ces préjudices est une avancée très importante pour la réparation des atteintes extrêmes vécues par les victimes d'attentats. Elle ouvre un chantier considérable pour l'adaptation à chaque situation particulière.  

De la nécessité du médecin conseil en amont de l'expertise

La nécessité de la présence du médecin-conseil pendant l’expertise médicale est reconnue par la nomenclature Dintilhac.

Mais quid du travail très important fourni par le médecin-conseil en amont de l’expertise ?

La notion de procès équitable garantie par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme intègre le respect de l’égalité des armes. Elle implique que « chaque partie doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH, 18 mars 1997, Foucher c/ France, requête n°22209/93).

Le Docteur Bernard A.H. DREYFUS, Médecin légiste, chargé de cours à la faculté de médecine Paris V, précise l’importance particulière du médecin-conseil avant et après l’opération d’expertise[1].

« Accueil

Le médecin-conseil de blessé doit savoir recevoir et écouter le blessé, lui faire connaitre ses droits, lui préciser la « règlementation » en la matière, lui exposer clairement les droits et les devoirs des victimes ainsi que ceux des autres parties, lui expliquer les étapes successives nécessaires à l’évaluation du dommage corporel.

Le blessé charge de son recours un médecin-conseil auquel il fait toute confiance. Il lui raconte son vécu traumatique, lui explique sa vie antérieurement à l'accident, lui expose sa situation physique, morale et socio-professionnelle suite à l'accident, se confie à ce médecin, comme à son médecin thérapeute.

Le respect de la personne dans son vécu de victime est un élément fondamental de cet entretien préliminaire, témoignant d'une compréhension totale des doléances exprimées. Par ce premier contact humain, le médecin-conseil de blessé va prendre conscience de la spécificité du dossier et en personnaliser la constitution. Ce dialogue avec la victime lui permettra d'exprimer sa compétence médico-légale et son indépendance professionnelle. (…)

Information et conseil

Cette confiance acquise permet de jouer un rôle de modérateur dans certaines situations particulières. Elle permet aussi, par des conseils appropriés, de dépassionner le débat et d'éviter ainsi des demandes excessives ou injustifiées, des comportements dangereux, des contestations inutiles vouées à l'échec et finalement onéreuses pour la victime. (…)

Constitution du dossier

Le rôle particulier du médecin-conseil de blessé est de constituer un dossier structuré et complet à visée médicolégale. Ce dossier doit prouver les séquelles résultant de l'accident, c'est-à-dire toutes les répercussions fonctionnelles ou autres qui découlent du fait dommageable. Il doit aussi apporter la preuve de leur lien de causalité avec l'accident générateur.

(…). Il lui faut en effet réunir tous ces éléments de preuve :

- Preuves des lésions. Il convient de rechercher tous les éléments permettant de retracer le suivi médico-chirurgical depuis le fait dommageable jusqu'à la date de l'entretien. Le médecin-conseil doit s'appliquer à faciliter au blessé toutes les démarches qu'il doit obligatoirement effectuer pour obtenir tous ces documents indispensables à son dossier.

- Preuves des séquelles. L'assistant technique du blessé doit rechercher les différents paramètres médicaux ou autres qui authentifient toutes les séquelles alléguées. Il doit donc procéder à une recherche médico-légale à visée diagnostique. D'abord recueillir auprès du médecin traitant toutes les informations utiles, puis, si nécessaire, conseiller de faire pratiquer les examens complémentaires imposés par cette recherche. Il joue donc là un rôle fondamental et particulier de recherche de diagnostic à visée purement médico-légale et expertale, élément spécifique de la mission de médecin-conseil de blessé.

- Recherche et démonstration de l'imputabilité des séquelles au fait dommageable. (…) »

Le Docteur Jacqueline ROSSANT-LUMBROSO, Présidente du Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins des Alpes-Maritimes relève également ce rôle crucial du médecin-conseil avant, pendant et après l’expertise dans un rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins du 21 octobre 2011.

Elle précise que l’action du médecin-conseil est fondée sur deux principes essentiels :

« 1- la charge de la preuve incombe à la victime et le médecin doit l’aider à constituer son dossier médical. Cette intervention préalable à l’expertise est essentielle.

 2- le principe du contradictoire justifie la présence d’un médecin-conseil de victime auprès de chaque victime.

Il a pour vocation d’assurer le respect d’une défense contradictoire des victimes sur le plan médico-légal, en veillant à une évaluation correcte des différents postes de préjudices, et pour cela a un rôle de conseil et d’accompagnement auprès de son client. (…)

Enfin il doit rendre compte au blessé et, à sa demande, à ses mandats (avocats, etc.) des résultats des opérations expertales en les commentant et les explicitant.»[2].

Il est certain que le rôle du médecin-conseil est crucial en amont de l’expertise. La victime seule ne saurait constituer son dossier et évaluer correctement ses préjudices, ni rechercher et démontrer l’imputabilité des séquelles au fait dommageable.

L’égalité des armes est donc assurée par la présence du médecin-conseil lors de l’expertise mais évidemment par tout le travail de préparation opéré avant celle-ci.

Les frais engagés pour la préparation du dossier d’expertise et donc pour la constitution de preuves étant en lien direct avec l’agression, il est anormal qu’ils restent à la charge de la victime.

La Cour de cassation a eu l’occasion de valider ce raisonnement dans un arrêt du 22 mai 2014, en précisant que la victime peut avoir recours à des mesures, telle qu’une expertise amiable, pour évaluer son préjudice et chiffrer ses demandes (Cass., Civ 2, 22 mai 2014, n°13-18591).

Il est pourtant regrettable de constater aujourd’hui encore que certaines décisions de justice de première et seconde instance ne prennent pas intégralement en charge les frais de médecin-conseil et se limite à la note d'honoraires indiquant la présence du médecin-conseil à l’expertise.

Il convient dès lors d’insister auprès des juges du fond sur la nécessité du travail fourni par les médecins conseils en amont de l’expertise, afin d’obtenir le remboursement des honoraires de préparation du dossier.

 

Emma DINPARAST
Avocate au Barreau de Paris

 

[1] « Le médecin-conseil de blessé » – Bernard A. H. DREYFUS, Médecin-légiste, chargé de cours à la faculté de médecine Paris V – AJ Famille 2004 p.321.

[2] « Les experts médicaux et les médecins qui évaluent le dommage corporel » - Dr Jacqueline Rossant-Lumbroso, Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins du 21 octobre 2011.

Attentats du 13 novembre 2015 : premières offres d'indemnisation définitive

Le Fonds de garantie des victimes du terrorisme et autres infractions (FGTI) commence à adresser aux proches des victimes décédées le 13 novembre 2015 une offre d’indemnisation définitive pour le préjudice d’affection et le préjudice spécifique des victimes d’attentat.

Devant ces offres, les professionnels de la réparation intégrale doivent rappeler que l’ampleur des préjudices subis dans les suites des attentats de novembre 2015 ne permet pas de décrire l’intégralité des conséquences affectives et personnelles à si bref délai.

Aussi, les offres reçues ne peuvent constituer à ce stade qu’une évaluation standardisée et forfaitaire.

Par ailleurs, la méthode consistant à informer par simple courrier d’un montant pré-établi pour le préjudice d’affection entretient malheureusement l’idée fausse selon laquelle une norme abstraite fixerait un prix de la vie, ce qui correspond pour les familles à une marchandisation inacceptable.

Enfin, le versement immédiat de provisions représentant 80% de l’offre indemnitaire du FGTI est une mesure positive à condition qu’elle soit bien expliquée et comprise. Malheureusement, le versement d’office de cette provision, sans accord exprès des familles, produit parfois une impression de malaise, à l’inverse de l’effet recherché.

Nous déplorons sincèrement que le calendrier indemnitaire n’ait fait l’objet d’aucune concertation préalable avec les représentants des victimes.

Par Frédéric BIBAL

Arrêt d’été sur les frais divers
  • accident du travail

  • faute inexcusable

  • frais divers

  • jardinage

  • tierce personne

Cassation, civile 2, 9 juillet 2015, 14-15.309

Chacun a pu étouffer sous la chaleur estivale, se dépêcher d’acheter le ventilateur dernier cri, et s’interroger légitimement sur l’indemnisation des frais exposés pour entretenir son jardin en matière de faute inexcusable : faut-il les indemniser au titre des frais divers ou de la tierce personne ?

Par un arrêt du 9 juillet 2015, les sages de la Cour de cassation ont permis à certains jardiniers de pouvoir commencer les travaux de jardinage sans la crainte de ne pas être réglés, en répondant clairement en matière de faute inexcusable : les frais d’entretien du jardin doivent être indemnisés au titre des frais divers.

En l’espèce, la victime « ne peut plus passer le motoculteur, assurer les travaux de taille des arbres et des arbustes, d'entretien des haies et des massifs et préparer le bois ». La Cour considère que l’indemnisation au titre des frais divers devait être prise en compte et que celle-ci comporte « le coût d'accomplissement, par un professionnel, des travaux de taille des arbres et des arbustes, d'entretien des haies ».

La victime demandait à la Cour d’aller plus loin en considérant que l’entretien du jardin pouvait donner lieu à une indemnisation au titre de la tierce personne pour la raison que les textes du code de la sécurité sociale ne prévoient pas ce type d’aide. Mais la Cour de cassation se contente de valider un remboursement de frais de jardinage (sur la tierce personne permanente en matière de faute inexcusable voir aussi : Civ. 2ème, 19 décembre 2013, n°12-28930).

Par Dahbia ZEGOUT le jeudi 23 juillet 2015, 10:11

Revue de jurisprudence - Juin 2015
  • Faute inexcusable

  • Frais de médecin-conseil

  • Incidence professionnelle

  • Libre disposition

  • Recours des tiers payeurs

SECHER LES COURS OU ETRE INDEMNISE : TELLE N’EST PAS LA QUESTION…

Indemnisation au titre des PGPF et incidence professionnelle - victime lycéenne - préjudice certain même si elle était peu assidue en cours

Cass., 2e Civ., 25 juin 2015, 14-21.972, Publié au bulletin

Dans cette espèce, le Fonds de garantie faisait valoir que la victime admettait avoir cessé d'assister au cours et décidé au mois de février 2005 d'abandonner sa scolarité en quittant l'établissement ce qui procédait d'un choix délibéré de sa part ; qu'il s'en déduisait qu'aucun élément ne permettait d'objectiver l'existence d'un préjudice pour perte de gains professionnels futurs en relation causale avec les faits objets de la procédure (agression).

La Cour de cassation rejette cette argumentation en rappelant plusieurs principes de bases en matière d’indemnisation des préjudices patrimoniaux des jeunes victimes :

« Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que s'agissant des pertes de gains futurs, si l'expert judiciaire a effectivement conclu que Mme X... ne subissait pas un retentissement professionnel ou scolaire puisqu'elle n'exerçait à l'époque des faits aucune activité professionnelle ou estudiantine, les jeunes victimes ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels, il est évident qu'à 18 ans, celle-ci n'était pas destinée à rester inactive toute sa vie et qu'elle pouvait au moins prétendre à un salaire équivalent au SMIC, qu'elle était une bonne élève, et que le directeur du lycée attestait qu'elle avait très largement la possibilité de poursuivre ses études et d'envisager d'obtenir au moins un diplôme de type baccalauréat, ce dont il résulte qu'elle avait un potentiel et qu'elle pouvait prétendre à un emploi rémunéré, la cour d'appel n'a pas réparé un préjudice virtuel et hypothétique en allouant à Mme X... une indemnité réparant l'incidence professionnelle du dommage subi ; »

Cet arrêt présente également un intérêt concernant la portée du rapport d’expertise judiciaire : si l’expert a effectivement conclu à l’absence de retentissement professionnel ou scolaire, cela ne saurait constituer un obstacle à l’indemnisation de la victime au titre de l’incidence professionnelle. Le rapport d’expertise constitue en effet un outil médico-légal utile mais les juges restent souverains dans l’appréciation des éléments du préjudice au regard notamment des autres pièces du dossier (espèce : attestation du Directeur du Lycée etc.), et en l’occurrence sur la possibilité pour la victime de poursuivre ses études et de prétendre à un emploi rémunéré au minimum au SMIC.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030791043&fastReqId=1305251747&fastPos=2&oldAction=rechJuriJudi

 

RECOURS DES TIERS PAYEURS - ASSIETTE- APPLICATION DE LA LOI DU LIEU DE L'ACCIDENT

Cass., 1e Civ.,  24 juin 2015, 13-21.468, Publié au bulletin

« Attendu, selon l'arrêt attaqué, que(…) la société Allianz IARD, assureur-loi de l'employeur monégasque de la victime, a réclamé à la Matmut le remboursement de l'intégralité de ses débours ;

Attendu que, pour dire la Matmut mal fondée à prétendre limiter l'assiette du recours du tiers payeur au montant des chefs de dommages dont les prestations de l'assureur-loi assurent la réparation (frais médicaux, arrêt de travail, IPP) susceptibles de revenir à M. X..., l'arrêt retient que la loi monégasque n° 636 du 11 janvier 1958 consacre le droit pour l'assureur-loi de poursuivre le remboursement intégral des prestations servies à la victime, que d'origine légale, il n'a pour limite que le montant des prestations mises par la loi à la charge de l'employeur ;

 « Qu'en statuant ainsi, alors que la loi du lieu de l'accident définit l'assiette du recours de l'organisme d'assurance sociale qui indemnise la victime de cet accident, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030789175&fastReqId=1305251747&fastPos=8&oldAction=rechJuriJudi

 

FAUTE INEXCUSABLE – EXPERTISE – DOMMAGES NON COUVERTS – FRAIS DE MEDECIN CONSEIL (OUI)

Cass., 2e Civ., 18 juin 2015, 14-18.704, Publié au Bulletin

«  Vu l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que pour débouter Mme X... de sa demande de remboursement des honoraires du médecin l'ayant assistée lors des opérations d'expertise judiciaire, l'arrêt retient que ce poste de préjudice n'entre pas dans le cadre de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2010 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les frais d'assistance à expertise nécessités par la maladie professionnelle dont il importe de déterminer les conséquences, ne sont pas au nombre des dommages couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé le texte ; »

Cet arrêt permet de confirmer la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en la matière. En effet, la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2014 (Cass. 2e civ., 18 décembre 2014, n°13-25839) avait eu l’occasion de rappeler que les frais d’assistance à expertise sont un préjudice indemnisable non couvert par le livre IV et ouvrent droit à une indemnisation complémentaire au titre de la faute inexcusable de l’employeur.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030761191&fastReqId=1416253402&fastPos=2&oldAction=rechJuriJudi

 

RECOURS DES TIERS PAYEURS - PRESTATIONS DEDUCTIBLES EN CAS DE DECES PAR LE FONDS D’INDEMNISATION – CAPITAL DECES - CARACTERE INDEMNITAIRE DE LA PRESTATION (NON)

Cass. 2e Civ., 11 juin 2015, 14-21.867, Publié au Bulletin

« Vu l'article 53 I et 53 IV de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;

Attendu que, pour fixer le préjudice économique de Mme X... à une certaine somme sous réserve de la déduction de l'éventuel capital décès versé par la mutuelle de Jean-Jacques X..., l'arrêt énonce que c'est à juste titre que le FIVA invoque les dispositions de l'article 53 IV de la loi du 23 décembre 2000 aux termes duquel le FIVA indique au demandeur l'évaluation retenue pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui lui reviennent compte tenu des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du même préjudice ; que le capital décès versé par une mutuelle ou tout autre organisme de prévoyance doit être déduit du montant du préjudice économique ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le capital décès versé par la mutuelle revêtait un caractère indemnitaire ou forfaitaire, alors que celui-ci, ne relevant pas des prestations indemnitaires par détermination de la loi, ne réparait le préjudice économique du conjoint survivant que s'il dépendait des revenus du défunt, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; »

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030719001&fastReqId=1755085127&fastPos=3&oldAction=rechJuriJudi

 

LIBRE DISPOSITION- FRAIS FUTURS

Cass.,  crim., 2 juin 2015, 14-83.967, Publié au bulletin

« Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que le principe de la réparation intégrale n'implique pas de contrôle sur l'utilisation des fonds alloués à la victime qui en conserve la libre utilisation ; (…)

Attendu que l'arrêt attaqué a condamné M. X... au remboursement des dépenses de santé futures relatives aux appareillages de M. Y... à la suite de l'accident, au fur et à mesure de ses besoins et sur présentation des factures acquittées, en l'absence d'éléments suffisants quant à leur prise en charge par les organismes de sécurité sociale et aux prix de ces appareillages;

Mais attendu qu'en subordonnant ainsi l'indemnisation de M. Y... à la production de justificatifs, alors qu'il lui appartenait, pour liquider son préjudice, de procéder à la capitalisation des frais futurs, en déterminant le coût de ces appareillages et la périodicité de leur renouvellement, en exigeant la communication des décomptes des prestations que ces organismes de sécurité sociale envisageaient de servir à la victime et en recourant, en tant que de besoin à une nouvelle expertise et à un sursis à statuer, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ; »

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030685425&fastReqId=1394911527&fastPos=4&oldAction=rechJuriJudi

Par Dahbia ZEGOUT le lundi 20 juillet 2015, 10:30

ONIAM : Coordination entre une responsabilité pour faute et une indemnisation de l’aléa thérapeutique
  • CCI (CRCI)

  • ONIAM

  • Responsabilité médicale

En principe, l’indemnisation par l’ONIAM présente un caractère subsidiaire dans la mesure où elle ne peut intervenir qu’en l’absence de faute éthique ou technique.

Toutefois, il convient tout d’abord de rappeler les dispositions de l’article L.1142-18 du Code de la santé publique, en vertu desquelles :
« Lorsque la commission estime qu'un accident médical n'est que pour partie la conséquence d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins engageant la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé, elle détermine la part de préjudice imputable à la responsabilité et celle relevant d'une indemnisation au titre de l'office »

Mais surtout, plusieurs exceptions ont été apportées à ce principe par la jurisprudence.

Ainsi, en cas de défaut d’information, tout d’abord, la Cour de cassation a eu l’occasion de juger, dans un arrêt du 11 mars 2010 (Bull. civ., I, n°63), qu’il résultait du rapprochement des articles L.1142-1 et L.1142-18 du Code de la santé publique que « ne peuvent être exclus du bénéfice de la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices, non indemnisés, ayant pour seule origine un accident non fautif ».

La Haute juridiction judiciaire a ainsi censuré une cour d’appel qui avait rejeté la demande d’une victime contre l’ONIAM au motif qu’un défaut d’information ayant été retenu à l’encontre du médecin, l'indemnisation devait rester « à la charge de ce dernier, l’obligation d’indemnisation au titre de la solidarité nationale n’étant que subsidiaire ».

Il résulte de cette décision qu’en cas de défaut d’information, la réparation du préjudice lié à une perte de chance en résultant peut être complétée par l’indemnisation, par la solidarité nationale, de l’aléa subsistant.

Dans une décision du 23 janvier 2009, la Cour d’appel de Paris (Gaz. Pal., 26 mars 2009, jur., p. 1270) a appliqué cette jurisprudence en présence d’une faute technique du médecin (retard à l’hospitalisation) et de la survenance d’un accident médical.

La cour d’appel de Paris a ainsi retenu :

« Que l’article L.1142-18 du Code de la santé publique prévoit, d’ailleurs, à l’égard des victimes ou des ayants droit qui ont opté pour la saisine de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation que, lorsque celle-ci estime qu’un accident n’est que pour partie la conséquence d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins engageant la responsabilité d’un professionnel de santé, elle détermine la part de préjudice imputable à la responsabilité et celle relevant d’une indemnisation au titre de l’office ;

Que la réparation des préjudices de la victime peut être ainsi assumée par le professionnel de santé ayant commis la faute et la solidarité nationale ;

Que ce régime doit être nécessairement transposé au cas des victimes et de leurs ayants droit dont les dommages sont aussi pour partie liés à une faute et pour partie à un accident médical ou une affection iatrogène mais qui ont opté pour la saisine des juridictions (…) »
.

Dans cette affaire, les juges du fond ont ainsi estimé que le décès de la victime était imputable à  la fois au praticien à hauteur de 5%, en raison de son retard à hospitalisation ayant entraîné une perte de chance de survie, et à l’ONIAM, à hauteur des 95% restant, en raison de la survenance d’un accident thérapeutique gravissime, extrêmement rare.

De son côté, dans un arrêt du 30 mars 2011 (CE 30 mars 2011, n°327669, ONIAM c/ Epx Hautreux), le Conseil d’Etat a jugé que la responsabilité d’un hôpital public pour une perte de chance n’excluait pas l’intervention de la solidarité nationale en cas d’accident non fautif.

La haute juridiction administrative a ainsi retenu que :

« si les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l'ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, elles n'excluent toute indemnisation par l'office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité ; que dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif ; que par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l'ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1, et présentent notamment le caractère de gravité requis, l'indemnité due par l'ONIAM étant seulement réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue ».

Dans cette espèce, le Conseil d’Etat a validé le raisonnement des juges du fond consistant à imputer les préjudices subis par la victime à la fois à l’établissement hospitalier, à hauteur de 80%, en raison de la perte de chance causée par un retard fautif dans la prise en charge opératoire, et à l’ONIAM, à hauteur des 20% restant, en raison du dommage subi résultant de l’aléa thérapeutique.

Il résulte de l’ensemble de ces décisions que :

l’existence d’une faute médicale imputable à un praticien n’exclut pas la prise en charge par l’ONIAM de l’aléa subsistant,

le cumul de la responsabilité pour faute et de la solidarité nationale n’est pas limité à l’hypothèse d’une faute éthique, telle qu’un défaut d’information, mais s’applique également dans le cas d’une faute technique telle qu’un retard dans une prise en charge post-opératoire à l’origine d’une perte de chance,

le cumul de la responsabilité pour faute et de la solidarité nationale a vocation à jouer même lorsque la faute précède la réalisation de l’aléa, puisque, dans les jurisprudences précitées, la faute (qu’elle soit éthique ou technique) a précisément exposé le patient à l’aléa qui s’est réalisé.

Par Daphné TAPINOS

 

Emma Dinparast
MEDIATOR : SERVIER n’aurait pas rêvé mieux.

Dès le mois de décembre 2010, nous attirions l’attention de nos lecteurs sur les difficultés qui n’allaient pas manquer de se poser aux victimes du BENFLUOREX quant à l’établissement du lien de causalité entre leur pathologie et la prise du médiator.


En effet, compte tenu du manque de spécificité de certaines pathologies, seul un raisonnement statistique global permet de reconnaître que la prise du médiator a favorisé leur émergence.

En conséquence, au plan individuel, le seul moyen, pour les victimes, d’arriver à rapporter la preuve de l’imputabilité de cette pathologie est de bénéficier d’une présomption d’imputabilité, comme ce fut le cas dans l’affaire voisine de l’ISOMERIDE (cass. 1ère civ. 24/01/2006, n° 02-16 648).

En exigeant des victimes de rapporter la preuve positive de l’imputabilité, le système d’indemnisation par l’ONIAM offre à SERVIER le moyen d’échapper à sa responsabilité civile, le tout financé sur fonds publics !

Il lui offre également un magnifique argument dans le dossier pénal, puisque SERVIER ne manquera pas de faire l’addition des cas de rejets individuels pour essayer de montrer que les séries de complications publiées par les articles scientifiques sont inexactes.

Or, comme on l’a compris, ce n’est pas parce qu’un individu n’est pas en mesure de faire la preuve positive de l’imputabilité, qu’il n’est pas potentiellement une victime du produit.

L’absence de preuve positive signifie simplement que les lésions n’étant pas spécifiques, la victime ne dispose d’aucun moyen de démontrer qu’elles sont bien liées au médiator et non pas à une cause naturelle.

Les pouvoirs publics ont donc mis en place, on l’espère à leur insu, mais bien tristement, un dispositif qui s’avèrera en l’état essentiellement profitable à SERVIER.

Par Frédéric BIBAL le vendredi 12 octobre 2012